FIN DE ROLAND GARROS
La Fin de Roland Garros pour Ridha
La réputation de Ridha et le succès des Ballos prennent des proportions très importantes qui surprennent et réjouissent Ridha.
Sa méthode et son organisation est reconnue au delà de nos frontières, comme en témoignent des propos qui lui sont rapportés :
Un jour à Bercy, Ridha se trouve en face d'un invité de marque américain qui cherche à le voir personnellement.
Il l'accueille par cette phrase : " u balls kids are the best in the world "( tes jeunes ramasseurs sont les meilleurs au monde).
Une longue discussion s'en suit. Il lui conseille de poursuivre son excellent travail, de faire des films sur les entraînements et la sélection de ses ballos ! Ce haut cadre américain était un superviseur ; il supervisait les tournois du grand schlem.
En faisant l'éloge des ramasseurs, en insistant sur leur discipline, leur discrétion, leur agilité et leur sportivité il avait confirmé ce que Ridha savait intuitivement.
Sa subjectivité devenait ainsi une réalité objective et reconnue.
Il comprend par cette appréciation, ce conseil à la "cicérone", qu'il est sur la voie de la réussite :
Les Australiens qui venaient assister aux tournois de Roland Garros, avaient demandé la permission à Ridha de filmer et de faire un document sur ses ballos, sur la sélection des jeunes et les stages de formation.
Les invitations commencent à pleuvoir sur Ridha afin qu'il démontre sa façon de faire, sa manière d'entraîner les ramasseurs de balles.
Malheureusement faute de temps il n'a pu faire que trois déplacements à l'étranger.
Cela reste des souvenirs grandioses pour Ridha et ses petits ballos : Miami, Londres, Montréal ! Que d'images marquées à jamais dans leurs mémoires.
Il faut savoir que les Ballos de Roland Garros, en ce temps là, c'était une affaire familiale ! Ridha n'était pas seul à gérer le service des ramasseurs de balles, ses trois filles ont beaucoup participé et l'ont beaucoup aidé. Grâce à elle les "Ballos" sont devenus les meilleurs au monde !
Sa fille aînée Caroline s'occupait de gérer les inscriptions, former des groupes en fonctions des âges et préparer tout le nécessaire pour les journées de sélection.
A partir de novembre et jusqu'au début des Internationaux, les Ben Salha passaient leurs week-ends ensemble aux journées de sélection dans toute la France.
Sur place,Caroline, Marine et Claire notent et évaluent les jeunes, Sophie, la maman, supervise l'ensemble et fait bien attention à ce que tous les exercices des tests, qu'elle a mis en place, se déroulent comme il faut.
Pendant le tournoi, toute la famille veille également à ce que tout se passe bien, Caroline encadre les ballos du court Suzanne Lenglen et Marine ceux du court N°1. Chaque année, Sophie fait le tour des sponsors pour récolter des cadeaux qui sont remis à tous les jeunes pendant la fête, le dernier jour !
Le travail de Ridha a une valeur reconnue ; ses jeunes apportent du plus au tennis. A chaque fin de tournoi, Ridha reçoit les avis de ses superviseurs. Quand il sollicite leurs avis sur ses ballos et sur la nécessité éventuelle de rectifier des points de son organisation, ils lui renvoient l'excellence de son travail. Les superviseurs n'étaient pourtant pas enclins à des notations complaisantes ni aux compliments intempestifs. Pour Ridha c'était toujours du 5 sur 5 , la note maxi.
En plus des tournois de Roland Garros et Bercy, Ridha participe à d'autres tournois comme l'Open Clarins au Racing club, la Coupe Davis, la Fed Cup, l'Open de Lyon, Lagardére, l'Open GDF et puis l'Open de....Tunis, son pays natal !
En 2009, il est invité par la fédération Tunisienne de tennis pour la Coupe Davis Zone Afrique.
Ridha fou de joie prend 15 jours de congé et part à ses frais aider la Fédération Tunisienne, avec une trentaine de Ballos de Roland Garros.
Ces jeunes étaient hébergés chez les habitants à Tunis. Ils étaient ravis et enchantés de pouvoir vivre une expérience unique.
A son retour, Ridha est convoqué par ses patrons, qu'ils l'informent de leur mécontentement, d'avoir emmener des jeunes en Tunisie et avoir mis leur vie en danger. Il sent à ce moment là, que le vent tourne contre lui.
Des attaques et des reproches pleuvent sur lui. Quelque chose ne tourne plus rond au royaume du Tennis. Peu de temps après Ridha reçoit la notification de son licenciement.
Ouahhh!!! Du formidable recruteur et entraîneur des Ballos il devient le pestiféré des courts.
Ridha est en France depuis 44 ans ; il n'avait, pensait il, que des amis. Beaucoup de questions et d'énigmes rongent ses nuits.
Il a toujours été habitué à un climat sain, basé sur le respect de chacun. Il s'interroge et se souvient :
Ridha fêtait ses 30 ans de Roland Garros : Mr JC Blanc (son ancien patron, DGA de la FFT, aujourd'hui président du PSG) s'adresse au président de la fédération française de tennis, Mr Bimes. Il lui fait des louanges sur Ridha : "c'est un homme excellent ; très professionnel qu'il veut garder encore 30 ans "
Et voila qu'on le licencie ! Ridha est atterré, blessé. Il ne comprend pas, outre les prétextes fallacieux qu'on lui donne, ce qui lui vaut ce bannissement. Il devient l'homme honni dont il faut se débarrasser ! Il décide de porter son affaire devant les prud'hommes.
Il laisse faire la justice ce qui ne l'empêche pas de tenter de comprendre, le pourquoi, lui qui était en pleine gloire......
Il ne peut s'empêcher de penser, même si cela lui semble incroyable, que sa réussite commençait sans doute à faire quelques envieux.
C'est hélas chose courante que de tenter de couper les jambes à ceux qui courent, trop vite pour ceux qui veulent arriver les premiers. Le chemin du podium est parfois semé d'embûches et de crocs en jambes.
Trop de notoriété fait de l'ombre parfois. Et Ridha commençait sans doute à en agacer certains.
Des rumeurs de racisme parviennent même à ses oreilles. Il n'ose y croire trop épris de son amour pour la France ou trop naïf !
Il est devenu si Français qu'une telle pensée lui semble non seulement abjecte mais aussi absurde et impossible.
On cherche malgré tout à lui nuire et le ciel lui semble bien compact et sans lumière.
Au bout du compte, la Justice Française donne raison à Ridha. La fédération est déboutée, Ridha est fier.
Reste la blessure morale mais il n'est pas homme à se laisser abattre. Il obtient gain de cause. Il est réhabilité par la justice et c'est le plus important. Il obtient des compensations financières et se sent prêt à rebondir. Il ne va pas rester à la maison, les bras croisés, à ruminer ce qu'il a vécu comme une infamie ou à ressasser les souvenirs de ses exploits passés. Ce serait mal connaître le bonhomme que de le penser.
Il décide de monter sa propre Académie des Ballos, spécialisée dans la formation des jeunes. Fort de son expérience de plus de 37 années à Roland Garros il participe à l'organisation de certains tournois et côtoie toujours les ténors du tennis mondial.
Si d'aucuns ont voulu par jalousie, envie, racisme ou autres raisons inavouables, l'éliminer comme un bandit, c'était mal le connaître : Ridha a été élevé à l'école de la fierté, du respect et de l'estime de soi. Le Grand-père et le père ont tout fait pour lui donner l'amour de la France et aussi du travail bien fait.
Ridha se sent la conscience propre. La justice lui a rendu son honneur bafoué un temps. Il a maintenant, à l'âge de la retraite, du temps pour lui et sa famille, du temps pour continuer à évoluer dans le monde du tennis, du temps pour sa Tunisie, pour sa ville bien aimée où lorsqu'il y retourne, chacun le salue avec considération pour le parcours qu'il a effectué sur le territoire français. Bizerte et ses habitants se sentent honorés par son succès comme si il s'agissait du leur !
Ridha se souvient de son père. Il se souvient de l'opprobre qu'il a subi au départ des français quand le régime central en 1956 a voulu faire payer aux habitants de Bizerte leur bonne entente avec l'administration française. Ils avaient alors été traité comme des renégats, des traîtres.
C'est ainsi que du poste de fonctionnaire des postes, considéré et plutôt bien payé, son père s'était retrouvé simple petit facteur qui a eu à partir de ce moment-là, bien du mal à nourrir sa nombreuse famille. Malgré cela il n'avait jamais baissé la tête et rêvait pour ses fils une belle vie française.
Ridha se souvient et ne peut s'empêcher de penser à son père avec une grande émotion.
Il n'a jamais cessé de vouloir lui rendre justice. Ses succès qui le réjouissaient tant il les offrait à la mémoire de son père.
Lorsque Roland Garros a voulu jeter Ridha comme un mal propre c'est peut-être aussi la blessure du souvenir de l'humiliation subie par son père qui s'est mise aussi à saigner à ce moment-là.
" Depuis mes treize ans, depuis que nous avons déménagé prés des tennis, depuis que je guettais derrière les rangées de cyprès les mouvements secs et rapides des bras qui frappaient les balles avec ardeur, depuis que j'étais à l'affût du ballet des jambes sur la terre battue, je rêvais ! Depuis le balcon je rêvais de réhabiliter mon père ! Je rêvais d'être choisi, aimé par la France".
Maintenant qu'il a atteint l'âge de la maturité Ridha a ouvert les yeux. Français, il est fier de l'être mais il a acquis de la clairvoyance et du discernement. Sa conscience politique s'est accrue. Il n'est plus dupe de ses éblouissements d'enfant et avance dans sa vie sans illusions aveugles mais avec toujours le bonheur de la reconnaissance qu'il a obtenue dans ses actions au sein du Tennis français et même mondial.
C'est maintenant un homme apaisé.